30 Sep 2024

Baisse des consommations de carburants du transport routier français en 2023 : amorce d’une inversion de tendance durable ou effets conjoncturels ?

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Louis-Pierre Geffray
Coordinateur des programmes
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Depuis plusieurs décennies, le secteur du transport routier ne parvient pas à réduire ses émissions de gaz à effet de serre à l’échelle nationale, tous modes confondus 1 Haut conseil pour le Climat, Dépasser les constats mettre en œuvre les solutions, page 9, en ligne . En effet, les baisses de consommation en carburant routier observées en 2020, 2021 et 2022 relèvent principalement d’événements conjoncturels (crise Covid-19 et envolée des prix des carburants). À l’inverse et c’est un fait historique, l’année 2023 présente clairement et pour la première fois (hors crise) une baisse de la consommation de carburant routier en France. L’analyse qui suit revient sur ce signal faible en essayant d’en expliquer les origines, ainsi que le caractère plus ou moins structurel.

Les données du CPDP 2Comité Professionnel du pétrole, livraisons annuelles, en ligne : https://www.cpdp.org  indiquent que 48,0 milliards de litres d’essence et diesel ont été distribués, en France, en 2023 contre 49,3 milliards en 2022, soit une baisse inédite de 2,6%. Cette évolution résulte d’une très forte diminution du diesel (-5,5%) représentant encore, et malgré la tendance, 71% des volumes distribués en 2023. Parallèlement la consommation d’essence, elle, croit (+5,3%).

S’il est difficile d’établir la décomposition de l’ensemble des leviers ayant conduit à ce résultat, nous pouvons tout de même identifier certaines dynamiques à l’œuvre :

1. L’électrification des véhicules légers

Près de 300 000 3Plateforme automobile, en ligne, diapositive 15 nouveaux véhicules particuliers électriques ont rejoint le parc français sur l’année 2023, remplaçant quasiment autant de véhicules thermiques (eu égard à l’évolution du parc dans son ensemble). Considérant la consommation moyenne des véhicules substitués et le kilométrage moyen, il est possible d’estimer que les véhicules particuliers électriques nouvellement immatriculés ont permis d’éviter directement la consommation d’environ 250 millions de litres de carburant en 2023. Pour autant, ces gains sont en grande partie annulés par le report des kilométrages parcourus au sein du parc par les véhicules diesels, vers des motorisations essences qui consomment en moyenne 20% de plus de carburant. Les progrès techniques des nouvelles motorisations hybrides ne compensent que marginalement ce phénomène. Finalement, l’ensemble des leviers techniques à l’œuvre au sein du parc de voitures s’est traduit par une baisse de la consommation de seulement 95 millions de litres, soit 7% de la baisse totale observée en France en 2023.

2. Les nouveaux poids lourds affichent des consommations de carburant en forte baisse

de l’ordre de 18% inférieure par rapport à la moyenne observée au sein du parc roulant français. Ces véhicules en 2023 auraient ainsi contribué à une réduction de la consommation équivalente (100 millions de litres de diesel), soit également 7% de la baisse totale.

Les progrès réalisés sur les bus, cars et VUL permettent par ailleurs d’expliquer une part réduite de la baisse des consommations. Tous véhicules confondus, en additionnant les éléments évoqués précédemment, il est possible d’affirmer que la diffusion des progrès technologiques n’explique au mieux que 20% de la baisse de consommation de carburant constatée. La tendance identifiée est donc liée très majoritairement à une réduction de la demande de transport choisie ou subie.

Ainsi l’activité du transport routier de marchandise (c’est-à-dire les millions de tonnes.km transportées) a baissé fortement en 2023 selon les données du SDES, de l’ordre de -3,0% 4SDES, services des donnés et études statistiques, en ligne  par rapport à 2022. En parallèle, le taux de remplissage des véhicules est également orienté à la baisse, réduisant la consommation des véhicules. Ces deux éléments couplés à la diffusion accrue des pratiques d’éco conduite ont contribué en la non-consommation de 450 millions de litres de carburant. Soit 34% de la baisse constatée. La stagnation générale de l’activité économique a également engendré une baisse des kilométrages des VUL de 2,5% procurant des effets comparables.

Pour ce qui relève des voitures, les kilométrages parcourus ont également baissé (-2,5%) mais la corrélation liée au prix des carburants ne semble que faiblement expliquer cette tendance. Selon les données de l’INSEE, le prix d’1L de diesel était orientée à la baisse entre 2022 et 2023 passant en moyenne de 1,86€ à 1,82€. L’année 2023 pourrait donc présenter une baisse de la consommation de carburant liée majoritairement au comportement des automobilistes. Le rôle du report modal semble ainsi significatif dans les constats observés. La hausse de fréquentation du système ferroviaire (+6% en 2023 5Autorité de régulation des transports, en ligne) couvre, en ordre de grandeur, près de la moitié de la baisse des kilométrages observés sur le véhicule particulier.

En ce qui concerne l’année 2024, certains effets rebonds dans la demande en transport pourraient donc apparaitre fonction du contexte économique. Il est d’ailleurs déjà possible d’observer une reprise du transport de marchandise à +2,7% au premier trimestre 6SDES, activité du transport routier de marchandise au premier trimestre 2024, en ligne. Toutefois malgré ce constat, à fin août 2024, selon les données du CPDP 7CPDP, Bulletin mensuel, aout 2024, en ligne, la consommation de carburant routier reste en baisse à -0,4% par rapport à la même période en 2023. Un chiffre qui témoigne toutefois de la fragilité de la tendance mise en avant. Il sera donc intéressant de voir les prochaines années si la diffusion des innovations technologiques et les nouveaux comportements (structurels plus que conjoncturels) permettront de confirmer la tendance baissière observée depuis 2019.