24 Jan 2022

Un nouvel outil pour une nouvelle étape dans la transition du secteur de la mobilité et des transports

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Jean-Philippe Hermine
Directeur Général
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Marjorie Mascaro
Responsable développement
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La transition indispensable pour répondre à l’enjeu climatique est un processus long, jalonné d’étapes de natures différentes et de défis nouveaux. Chacune de ces étapes requiert des outils spécifiques et adaptés pour comprendre et prévenir les difficultés économiques, sociales ou industrielles inhérentes à chaque phase de la transformation engagée (exploration des options, amorçage des solutions, balisage réglementaire, déploiement de masse). La gouvernance de cette transition doit pouvoir s’appuyer sur des outils de dialogue et de concertation renouvelés au fur et à mesure que les défis nouveaux apparaissent. À travers la Plateforme « Mobilité en transition », l’Iddri et la Fondation européenne pour le climat proposent d’expérimenter à la fois un processus multi-parties prenantes d’approfondissement des enjeux, de caractérisation des risques ou opportunités et un outil unique de dialogue protégé, dans l’objectif d’alimenter le débat public et la compréhension des décideurs politiques. Ce billet de blog revient sur cette démarche innovante, qui a vocation à être étendue à d’autres secteurs de la transition pour en faciliter la mise en œuvre.

Les principales étapes du processus de transition

Même s’il existe des différences significatives en fonction des secteurs d’activités ou de consommation, il est possible de retenir schématiquement 5 grandes phases pour décrire le processus de transition vers un monde décarboné (en considérant ici la perspective et les domaines de responsabilité des décideurs publics):

  • Comprendre et caractériser les enjeux propres à un secteur d’activité ou de consommation.
  • Valider les solutions, que ce soit du point de vue de leur faisabilité technique, leur viabilité économique ou leur efficience environnementale ; les choix possibles de trajectoires, d’objectifs ou de technologies sont posés à l’issue de cette phase.
  • Amorcer la transformation en s’appuyant sur les acteurs les plus agiles, les plus solvables ou les plus motivés, par une promesse de valorisation de leurs initiatives pionnières ; cette étape permet de profiter d’un retour d’expérience pour identifier les chemins qui fonctionnent et les obstacles à lever. Ces points de blocage devront être levés avant la phase du déploiement massif, qui se traduit par un renforcement des contraintes règlementaires.
  • Négocier et fixer une trajectoire, avec des objectifs, et en définir le cadre réglementaire associé ; cette étape consiste également à répartir les responsabilités, en tenant compte des besoins systémiques et en impliquant autant que possible l’ensemble des parties prenantes (pour le cas du secteur des transports : faire émerger une offre auprès du monde industriel, engager les territoires et les acteurs de l’énergie dans la mise en place des infrastructures nécessaires.).
  • Mise en œuvre d’une transformation massive des comportements ou des solutions technologiques impliquant l’ensemble des composantes de la société ; probablement l’étape la plus ardue, celle qui porte le plus de risques politiques et industriels.

Le cas du secteur de la mobilité et des transports

En Europe et en particulier en France, le secteur de la mobilité et des transports se situe au passage charnière de la quatrième à la cinquième phase décrites ci-dessus. Dans le cadre de boucles d’itération entre étapes visant à affiner les trajectoires, les discussions encore en cours portent principalement sur des questions de calendrier qui, même si elles restent importantes, sont relativement marginales s’agissant de décrire les contraintes ou les conséquences du déploiement de masse à mettre en œuvre, ceci dans des échéances qui resteront très contraintes pour cette industrie à forte inertie (fin des véhicules thermiques autour de 2035 et mise en place de zones à faibles émissions avec restriction de trafic dans les agglomérations grandes et moyennes d’ici 2025 pour les véhicules particuliers et utilitaires).

Le secteur de la mobilité peut en effet être considéré comme relativement en avance de phase par rapport aux autres secteurs qui en sont, pour certains, encore à hésiter entre les solutions technologiques alternatives, sur l’acceptabilité des ruptures ou sur la part des évolutions comportementales possibles et souhaitables. Cette maturité avancée sur le chemin de la transition est justifiée par deux éléments :

  • d’une part, le poids important que représente le transport pour le défi de réduction des émissions de gaz à effet de serre et des émissions polluantes en milieu urbain nuisibles à la santé ;
  • d’autre part, le fait que ce secteur bénéficie de solutions technologiques, de services ou de reports modaux déjà disponibles, aux performances confirmées et présentant la perspective de devenir compétitifs par rapport aux solutions traditionnelles dans un avenir proche.

Les trajectoires et objectifs réglementaires pour l’horizon 2030 sont dorénavant clairs, et renforcés récemment par l’adoption du paquet climatique européen « Fit for 55 ». L’offre constructeur, que ce soit pour les véhicules particuliers, utilitaires, de transports collectifs ou les véhicules industriels, semble émerger alors que les technologies classiques mises en œuvre durant plus d’un siècle ne font plus l’objet d’investissements et sont, de fait, promises à une disparition lente mais inéluctable. Par ailleurs, les territoires, métropoles en tête, ont également pris leurs responsabilités en établissant des calendriers de mise en place des zones à faibles émissions, en participant au renouvellement des infrastructures de charge et en encourageant des programmes de report modal.

On pourrait donc considérer que la transition vers la mobilité très bas-carbone est bien engagée, avec une trajectoire fixée, balisée et avec des acteurs économiques et politiques sans états d’âme sur le besoin et les efforts requis par chacun. Il serait toutefois dangereux de considérer que le principal est fait, et suffisant pour réussir la transition.

D’une part, les trajectoires de transition ainsi définies exigent de réunir de manière simultanée un ensemble de conditions industrielles (reconversion des sites, accès aux matières premières, etc.), économiques, et de développement d’infrastructures. Autant d’exigences qui sont interdépendantes et liées à des avancés dans d’autres secteurs, tels que l’énergie (décarbonée) ou la mise en œuvre d’une économie circulaire. Le caractère systémique de la transition requiert une coordination et une cohérence trans-sectorielle qui n’est pas acquise et requiert une grande vigilance.

D’autre part, la transition a un coût économique et social qui sera supporté en partie seulement par la puissance publique. Le renchérissement des déplacements, les besoins accélérés de renouvellement d’un parc non complètement amorti, les exclusions de circulation en centres-villes pour les véhicules les plus anciens (généralement d’occasion qui constituent la flotte des populations les plus fragiles), sont autant de difficultés à identifier, caractériser et gérer collectivement pour éviter les crises, les tensions ou les phénomènes de rejets, voire de potentiels renoncements politiques. S’agissant du transport, les précédents des Bonnets rouges ou des Gilets jaunes en France sont des marqueurs du débat politique qui forcent à anticiper la question de l’acceptabilité et de l’accompagnement des transformations envisagées.

Dans ce contexte, la Plateforme « Mobilité en transition » entend accompagner le succès de la transition de la phase d’amorçage à la phase de déploiement massif dans le secteur de la mobilité et du transport. La trajectoire est déjà clairement définie par l’arsenal règlementaire européen (Fit for 55, CAFE 1Corporate Average Fuel Economy – Norme européenne qui limite à 95 g/km le taux moyen de CO2 émis par les VP neufs vendus à partir de 2020 pour tous les constructeurs., Règlement AFIR2Règlementation européenne sur les infrastructures de carburants alternatifs., Directive batterie), et complétée par des objectifs nationaux (SNBC, Loi LOM, vignettes Crit’air, plan de déploiement des ZFE, etc.), avec un objectif très clair : atteindre la neutralité carbone en 2050.

L’atteinte de cet objectif nécessite des outils de dialogue renouvelés ; ce sont les conditions de ce dialogue que la plateforme entend mettre en œuvre, par :

  • Une approche collaborative indépendante – Les membres invités à rejoindre la plateforme sont représentatifs de l’ensemble des parties prenantes impliquées dans la transformation du secteur des transports et de la mobilité. Ils sont issus du monde économique (constructeurs, gestionnaires de flottes, représentants de consommateurs ou usagers, énergéticiens, etc.), de la société civile (ONG, think tanks), du monde académique ou des territoires. L’indépendance de la structure est assurée par un financement ne reposant pas sur les membres.
  • Une démarche volontariste et réaliste – Volontariste sur la réussite de la transition et ses effets environnementaux, réaliste sur les enjeux économiques, sociaux et politiques : l’ambition d’une transition juste, acceptable socialement et vecteur d’opportunités pour l’industrie ou en matière d’innovation. L’acceptation sociale de la transformation en cours et l’adhésion du plus grand nombre seront des marqueurs des travaux.
  • Un débat protégé – Les échanges entre les différentes parties prenantes ne sont pas rendus publics ou anonymisés. Le débat est fluidifié, sans l’exigence de consensus et sans être tributaire des positions officielles d’organisations sectorielles ou de défense d’intérêts. Les membres y trouveront notamment la possibilité de confronter leurs hypothèses et analyses ou de tester leurs propositions avant de les rendre publiques.
  • Le choix d’objectiver le débat public par la confrontation et la production de données et analyses – Une production collective de données, visant à caractériser les enjeux ou les difficultés que l’on peut anticiper dans la mise en œuvre des trajectoires programmées, et les solutions à mettre en œuvre dans le cadre d’un redéploiement des politiques publiques. Ces analyses approfondies pourront servir de référence dans le débat public.
  • Une approche systémique – Identification des multiples défis connexes associés à la transition dans la mobilité (utilisation des ressources naturelles, protection de la biodiversité, transition agricole, santé, aménagement du territoire, etc.), afin notamment d’exploiter les synergies d’une approche trans-sectorielle cohérente ou d’éclairer les angles morts.

La Plateforme « Mobilité en transition » est une initiative ambitieuse et originale dans sa méthode et dans sa raison d’être : une approche volontariste pour identifier les leviers d’une gestion équilibrée et efficiente des aspects environnementaux, sociaux, industriels et économiques. Elle l’est aussi dans le périmètre de son action : un horizon court d’une dizaine d’années pour les enjeux concrets de mise en œuvre opérationnelle de la transition, sur le territoire français, avec l’ambition néanmoins d’intervenir également dans le débat auprès des autorités européennes. Elle entend ainsi constituer modestement un outil nouveau dans la gouvernance collective qui s’impose pour la réussite de la transition.

  • 1
    Corporate Average Fuel Economy – Norme européenne qui limite à 95 g/km le taux moyen de CO2 émis par les VP neufs vendus à partir de 2020 pour tous les constructeurs.
  • 2
    Règlementation européenne sur les infrastructures de carburants alternatifs.
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