04 Juin 2025

Temps perdu, budget grevé: le pacte social de la mobilité fragilisé avant la transition

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Jean-Philippe Hermine
Directeur Général
MarionBet
Marion Bet
Chercheuse, Modes de vie en transition, Iddri
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Mathieu Saujot
Directeur, Modes de vie en transition, Iddri
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Simon Louedin
Analyste

Pour quelles raisons les politiques de transition écologique de la mobilité revêtent-elles un caractère particulièrement inflammable ? Afin de le comprendre et d’anticiper les points de tension qui pourraient advenir, nous publions une Study, et un résumé exécutif (ci-dessous), fruit d’une collaboration entre l’IMT et l’équipe Modes de vie en transition de l’IDDRI. Aujourd’hui, la réponse à cette question est souvent résumée par le terme backlash, décrivant un antagonisme entre la progression de ces politiques et leur acceptabilité. Cette justification masque pourtant l’examen d’un troisième élément sur lequel ce blog se concentre : l’efficacité du système actuel. Ainsi, il s’agit de se demander si les politiques de transition ne révèlent pas, d’abord, des fragilités préexistantes au pacte mobilité.

Le système automobile est une composante centrale du pacte mobilité et par extension du contrat social contemporain. Depuis les années 1960, les politiques d’aménagement du territoire – marquées successivement par la périurbanisation puis la métropolisation – ainsi que les dynamiques de localisation de la vie économique dans les pôles ont favorisé l’usage du véhicule particulier. Ce processus lui-même a été rendu possible par des investissements publics dans les infrastructures, démultipliant les capacités à se déplacer. En conséquence, la déconnexion entre le lieu de vie et de travail s’est accrue, les distances sur ces trajets quadruplant entre 1960 et 2023 (INSEE, SDES, 1960–2019). En contrepartie de cette dépendance, les ménages périurbains et ruraux ont globalement pu bénéficier des promesses du contrat social : accès à l’autonomisation par le travail, les services publics, la consommation et des parcours résidentiels facilités. Mais pour que cet arrangement soit valide, il a fallu que le  système automobile soit suffisamment efficace en termes économiques et qu’il prodigue des gains de temps significatifs.

Cette évolution historique est allée de pair avec une croissance du poste budgétaire alloué au transport pour les ménages. La part des dépenses de transport dans la consommation finale est ainsi passée de 11% en 1960 à 18% dans les années 1990 (INSEE, 2009). Cette progression ne s’est pas tarie sur la période récente puisqu’en 2017, la part des dépenses de transport dans la consommation finale des ménages était de 20% (INSEE, 2000–2017). La dépendance au système automobile a participé à la continuité de cette hausse qui admet trois composantes sur l’ensemble de la période : un effet d’équipement dans un premier temps, une inflation des dépenses d’usages et une progression, plus récente, des dépenses dans les services de transport (INSEE, 2009 ; INSEE, 2000–2017). Dans un contexte de hausse des revenus et de mobilité facilitée par le développement des infrastructures, cette part croissante dédiée au transport s’est avérée relativement acceptable. Mais cette acceptabilité n’est-elle pas aujourd’hui fragilisée ? Assiste-t-on à un retournement pour une partie des Français?

En effet, pour les déplacements du quotidien, la situation pourrait avoir changé au regard de l’augmentation de la congestion routière. Au niveau local, les observations du Centre National d’Information Routière sur la période 1982-2017 indiquent une hausse de l’encombrement montrant une accélération marquée depuis le début des années 2000 (Bigo, 2019). A l’échelle nationale, notre analyse montre que le temps de transport en voiture a augmenté de 10% sur les liaisons entre pôles et communes périurbaines alors que les distances parcourues n’ont augmenté que de 2%. Cet écart de 8 points constitue un proxy qui corrobore les données locales. Il incite à penser qu’un effet de saturation des infrastructures est certainement à l’œuvre sur des parties du territoire, remettant en question la promesse d’une mobilité facilitée.

Par ailleurs, analyser le budget transport des ménages nécessite de regarder plus finement par groupe social. En effet, les tendances moyennes masquent une forte hétérogénéité selon les conditions de vie des citoyens. Par exemple, en 2017, le coefficient budgétaire du transport varie entre 17% et 30% selon le lieu de résidence dans l’aire urbaine (INSEE, 2017). Le croisement avec le revenu permet de mieux comprendre le contexte dans lequel sont reçus les débats publics sur la mobilité. En effet, notre analyse montre que la contrainte budgétaire s’est accrue pour les plus bas déciles de niveau de vie dans les couronnes et a diminué pour les plus hauts déciles qui résident dans les pôles des mêmes aires urbaines. Entre 2011 et 2017, la part des dépenses de transport dans le niveau de vie des ménages résidant dans les couronnes et appartenant aux trois premiers déciles a augmenté d’un point, pour atteindre 22 %. En revanche, elle a diminué de deux points chez les ménages vivant dans les pôles et appartenant aux déciles 8 à 10, s’établissant à 13 %. Ce décalage, même s’il est modeste, n’est peut être pas sans conséquences sur la perception des contraintes sur la mobilité.

En somme, des fragilités préexistantes du pacte de mobilité semblent avoir précédé les politiques de transition écologique. Ce constat invite à interroger l’élaboration de ces politiques : reposent-elles sur une compréhension fine des tensions existantes dans le système actuel ? Ont-elles l’ambition de les résoudre ? Dans notre Study, nous proposons de partir des conditions de vie réelles pour mieux appréhender ces problématiques. La grille de lecture offerte par le “pacte mobilité” nous permet de mesurer combien la voiture et la possibilité individuelle de se déplacer font l’objet de transactions collectives de long terme ; elles sont liées à notre organisation économique et sociale du territoire, cristallisent des promesses démocratiques et font l’objet d’investissements symboliques que des indicateurs strictement économiques ne mesurent pas. Nous plaidons ainsi pour que les études d’impact technico-économiques des politiques publiques intègrent une dimension sociopolitique, via une grille d’analyse originale. L’enjeu est d’anticiper les risques de controverses, de contestations, voire de blocages pour mieux mettre en débat et en œuvre une transition de la mobilité.

Pour mieux comprendre les fragilités du pacte mobilité et les enjeux sociopolitiques que doivent considérer les politiques publiques aujourd’hui, téléchargez le résumé exécutif de notre Study ci-dessous.

 

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